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"Japadog", les hot dogs à la mode japonaise, 2 roulottes sur Burrard St et bientôt l'ouverture d'un resto sur Robson St.
très médiatique depuis la venue médiatisée du chef américain Anthony Bourdain.
Par Pascal Riché, 28/03/2009
Le fabricant Modo et Modo a créé de toutes pièces le mythe du petit carnet noir prisé des grands artistes. Décryptage.
Il y a quelques jours, je me suis offert moi aussi un carnet Moleskine. Mon premier.
Je l'ai fait pour comprendre : je devais participer quelques jours plus tard à une émission de France Culture, « Masse Critique », à laquelle était invitée Maria Sebregondi, responsable de la marque Moleskine chez Modo et Modo. Cette société italienne, rachetée par la Société générale, a réussi à inonder le marché de ces carnets prétendument « mythiques » : 4,5 millions par an, dont 60% vendus en librairie ; 200 000 par an en France.
Quand la papetière m'a annoncé d'un air indifférent le prix, j'ai blêmi, mais j'ai fait mine de rien. Après tout, ce carnet que j'avais dans la main, un bandeau vert me précisait que c'était celui d'Hemingway. Et 16 euros pour le véritable carnet d'Hemingway, n'est-ce pas un vrai cadeau ?
Je n'ai pas osé y inscrire ma liste de courses : trop trivial
Je l'ai donc emporté. Je comptais y inscrire mes listes de courses (trois poireaux, une livre de brocolis…) mais je n'ai pas osé. Trop trivial, qu'aurait pensé Hemingway ? Le carnet est donc toujours blanc, un blanc sans chlore.
Dans le studio de l'émission, au 6e étage de la Maison de la radio, j'ai félicité notre invitée Maria Sebregondi : sa présence sur ce plateau de France Culture, plutôt que sur celui de France Business, n'était-ce pas le signe éclatant que Moleskine avait réussi son coup marketing ? Il a réussi à se faire passer pour un pur produit culturel.
Le casse du siècle : à côté, l'attaque du Glasgow-Londres, c'était de la roupie de sansonnet. Pensez : cet éditeur italien a réussi à vendre dans le monde entier un carnet -un simple carnet ! - avec certes un bout d'élastique, pour le prix de deux livres d'Hemingway.
Certes, le truc est très beau, et il épouse parfaitement l'air du temps : le temps du nomadisme triomphant, le temps des blogs (une autre forme de carnets), le temps des communautés (la marque a créé celle des moleskineurs), le temps des bobos décroissants (et de ce point de vue, le carnet est assez bien assorti, je trouve, avec la soupe bio au rutabagas).
Mais son succès tient avant tout au talent des équipes de marketing de Moleskine. Et quelle équipe ! Modo et Modo a recruté dans celle-ci non seulement Hemingway, mais aussi Picasso, Matisse, et bien d'autres.
Sont également supposés avoir testé vos carnets Stéphane Mallarmé, Guillaume Apollinaire, Jean-Paul Sartre, Yves Bertrand (non, celui là, c'est pour rire), ou encore Vincent Van Gogh ! Et grâce à eux, les acheteurs du carnet, pour 16 euros, entrent dans un sacré club.
Les « carnets Moleskine », une invention récente
Pourtant, c'est là le plus fort de l'histoire, ni Hemingway, ni Picasso, ni Van Gogh, ni Céline, ni Mallarmé n'ont jamais utilisé de carnet de la marque Moleskine…
Pour une raison simple : la marque n'existait pas à leur époque.
C'est Modo et Modo qui, en 1998, il n'y a pas si longtemps, l'a pour la première fois créée et déposée. Maria Sebregondi, une dame charmante parlant un français impeccable, raconte :
« Ça a commencé simplement, un groupe d'amis, en vacances, on parlait de voyages… Modo et Modo, était en train de publier une ligne de livres consacrés aux voyages et à la culture. J'ai alors proposé de reproduire le carnet cher à Bruce Chatwin ».
L'écrivain anglais Chatwin est le premier à avoir parlé de « carnet Moleskines » dans son roman « Le Chant des pistes », publié en 1987. Moleskine vient de « Mole skin » (« peau de taupe ») et désigne un coton vernis qu'on utilisait autrefois (pour couvrir des banquettes, par exemple).
Chatwin explique qu'il se procurait ces carnets chez un fabricant de Tours (dont personne n'a jusque là retrouvé la trace) avant que ce dernier ne disparaisse, le laissant désespéré. A partir de ces quelques lignes, Modo et Modo a bâti un mythe…
Céline, Hemingway et les autres enrôlés de force par la marque
Tous les géants cités plus haut utilisaient des carnets, mais ceux ci étaient très divers, produits par différents fabricants, avec des couvertures en cuir ou en tissus huilé. Avec une certaine hardiesse, Modo et Modo a simplement décrété que tous ces carnets étaient des « Moleskine ». Et que ses carnets en sont donc les « héritiers ».
Prenez Hemingway. Sur quoi Modo et Modo se fonde-t-il pour affirmer qu'il utilisait un « moleskine » ? Sur un passage de « Paris est-une fête », où il évoque un carnet de note sur lequel il rédige une nouvelle. Un peu ténu, non ? Le mot de « moleskine » n'appararaît pas dans ce passage, et Hemingway parle même d'une couverture « bleue ».
Idem pour Céline : Modo et Modo évoque le passage d'un roman de Luis Sepulveda, dans lequel ce dernier affirme que le Français utilisait des carnets Moleskine… Mais qui le lui a dit ? Chatwin ? Mystère.
Modo et Modo est un nom trompeur : on dirait un spectacle de clown, c'est en réalité un numéro de prestidigitateur. Il y a un peu plus de dix ans, L'éditeur a fait sortir une belle légende de son chapeau de peau de taupe. Il a construit un mythe culturel en laboratoire : une prouesse qui mériterait d'être enseignée dans toutes les bonnes écoles de commerce.]